PRISONNIERS DES GLACES
(Vingt mille lieues sous les mers)
   Jules Verne

La situation est grave, les réserves d'air vont manquer et le sous-marin est coincé entre deux couches de glace. Il va falloir toute les ressources du capitaine et du bateau pour sortir de ce mauvais pas. Pour casser la glace, des scaphandriers travaillent avec des pics.

Trouver le mot qui décrirait le mieux l'atmosphère à l'intérieur du sous-marin pendant les manœuvres.

Ce jour-là, le travail habituel fut accompli avec plus de vigueur encore. Deux mètres seulement restaient à enlever sur toute la superficie. Deux mètres seulement nous séparaient de la mer libre. Mais les réservoirs étaient presque vides d'air. Le peu qui restait devait être conservé aux travailleurs. Pas un atome pour le Nautilus ! Lorsque je rentrai à bord, je fus à demi suffoqué. Quelle nuit ! Je ne saurais la peindre. De telles souffrances ne peuvent être décrites. Le lendemain, ma respiration était oppressée. Aux douleurs de tête se mêlaient d'étourdissants | vertiges qui faisaient de moi un homme ivre. Mes compagnons éprouvaient les mêmes symptômes. Quelques hommes de l'équipage râlaient. Ce jour-là, le sixième de notre emprisonnement, le capitaine Nemo, trouvant trop lents la pioche et le pic, résolut d'écraser la couche de glace qui nous séparait encore de la nappe liquide.

Cet homme avait conservé son sang-froid et son énergie. Il domptait par sa force morale les douleurs physiques. Il pensait, il combinait, il agissait. D'après son ordre, le bâtiment fut soulagé, c'est-à-dire soulevé de la couche glacée par un changement de pesanteur spécifique. Lorsqu'il flotta on le hâla de manière à l'amener au-dessus de l'immense fosse dessinée suivant sa ligne de flottaison. Puis, ses réservoirs d'eau s'emplissant, il descendit et s'emboîta dans l'alvéole. (...) Un dénivellement se produisit. La glace craqua avec un fracas singulier, pareil à celui du papier qui se déchire, et le Nautilus s'abaissa. « Nous passons ! » murmura Conseil à mon oreille. Je ne pus lui répondre. Je saisis sa main. Je la pressai dans une convulsion involontaire. (...) Mais que devait durer cette navigation sous la banquise jusqu'à la mer libre ! Un jour encore ! Je serais mort avant !

À demi étendu sur un divan de la bibliothèque, je suffoquais. Ma face était violette, mes lèvres bleues, mes facultés suspendues. Je ne voyais plus, je n'entendais plus. La notion du temps avait disparu de mon esprit. Mes muscles ne pouvaient se contracter. Les heures qui s'écoulèrent ainsi, je ne saurais les évaluer. Mais j'eus la conscience de mon agonie qui commençait. Je compris que j'allais mourir... Soudain je revins à moi. Quelques bouffées d'air pénétraient dans mes poumons. Étions-nous remontés à la surface des flots ! Avions-nous franchi la banquise ! Non ! C'étaient Ned et Conseil, mes deux braves amis, qui se sacrifiaient pour me sauver. Quelques atomes d'air restaient encore au fond d'un appareil. Au lieu de le respirer, ils l'avaient conservé pour moi, et, tandis qu'ils suffoquaient, ils me versaient la vie goutte à goutte ! Je voulus repousser l'appareil. Ils me tinrent les mains, et pendant quelques instants, je respirai avec volupté. Mes regards se portèrent vers l'horloge. Il était onze heures du matin. Nous devions être au 28 mars. Le Nautilus marchait avec une vitesse effrayante de quarante milles à l'heure. Il se tordait dans les eaux. Où était le capitaine Nemo ? Avait-il succombé ? Ses compagnons étaient-ils morts avec lui ?

En ce moment, le manomètre indiqua que nous n'étions plus qu'à vingt pieds de la surface. Un simple champ de glace nous séparait de l'atmosphère. Ne pouvait-on le briser ? Peut-être ! En tout cas, le Nautilus allait le tenter. Je sentis, en effet, qu'il prenait une position oblique, abaissant son arrière et relevant son éperon. Une introduction d'eau avait suffi pour rompre son équilibre. Puis, poussé par sa puissante hélice, il attaqua l'ice-field par en-dessous comme un formidable bélier. Il le crevait peu à peu, se retirait, donnait à toute vitesse contre le champ qui se déchirait, et enfin, emporté par un élan suprême, il s'élança sur la surface glacée qu'il écrasa de son poids. Le panneau fut ouvert, on pourrait dire arraché, et l'air pur s'introduisit à flots dans toutes les parties du Nautilus.


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