Chaque paroisse
| chômait autrefois la fête de son patron.
La Saint-Jean-Baptiste, fête patronale
de la paroisse de Saint-Jean-Port-Joli,
qui tombait dans la plus belle saison de l'année, ne manquait
pas d'attirer un grand concours de pèlerins,
non seulement des endroits voisins, mais
des lieux les plus éloignés. Le cultivateur
canadien, toujours si occupé de ses travaux agricoles,
jouissait alors de quelque repos,
et le beau temps l'invitait à la promenade. Il se faisait
de grands préparatifs dans chaque famille
pour cette occasion solennelle. On faisait partout le grand
ménage, on blanchissait à la chaux, on
lavait les planchers que l'on recouvrait de branches d'épinette,
on tuait le veau gras, et le marchand avait
bon débit de ses boissons. Aussi, dès le
vingt-troisième jour de juin, veille de
la Saint-Jean-Baptiste, toutes les maisons, à commencer
par le manoir seigneurial et le presbytère,
étaient-elles encombrées de nombreux pélerins.
Le seigneur offrait le pain
bénit et fournissait deux jeunes
messieurs et deux jeunes demoiselles de ses amis, invités
même de Québec, longtemps d'avance, pour
faire la collecte pendant la messe
solennelle, célébrée en l'honneur du
saint patron de la paroisse. Ce n'était pas petite besogne
que la confection de ce pain bénit et de ses accessoires
de cousins (gâteaux), pour la multitude qui se pressait,
non seulement dans l'église, mais aussi en dehors du temple,
dont toutes les portes restaient ouvertes, afin
de permettre à tout le monde de prendre part au saint
sacrifice. Il était entendu que le seigneur et
ses amis dînaient, ce jour-là, au presbytère,
et que le curé et les siens soupaient au
manoir seigneurial.
Un grand nombre d'habitants,
trop éloignés de leurs maisons pour y aller et en
revenir entre la messe et les vêpres, prenaient
leur repas dans le petit bois de cèdres,
de sapins et d'épinettes qui couvrait le vallon,
entre l'église et le fleuve Saint-Laurent.
Rien de plus gai, de plus pittoresque
que ces groupes assis sur la mousse ou sur l'herbe fraîche,
autour de nappes éclatantes de blancheur,
étendues sur ces tapis de verdure. Le curé
et ses hôtes ne manquaient jamais de leur
faire visiter et d'échanger, avec les notables,
quelques paroles d'amitié. De tous côtés
s'élevaient des abris, espèces de wigwams
couverts de branches d'érable et de bois
résineux, où l'on débitait des rafraîchissements.
Les traiteurs criaient sans cesse d'une
voix monotone, en accentuant fortement
le premier et le dernier mot : À la bonne bière ! Au bon
raisin ! À la bonne pimprenelle
! Et les papas et les jeunes amoureux,
stimulés pour l'occasion, tiraient avec
lenteur, du fond de leur gousset, de quoi
régaler les enfants et la créature !
Les Canadiens
de la campagne avaient conservé une cérémonie
bien touchante de leurs ancêtres Normands
: c'était le feu de joie, à la tombée du
jour, la veille de la Saint-Jean-Baptiste. Une pyramide
| octogone, d'une dizaine de pieds de haut,
s'érigeait en face de la porte principale
de l'église ; cette pyramide, recouverte de branches de
sapin introduites dans les interstices
d'éclats de cèdre superposés, était d'un
aspect très agréable à la vue. Le curé,
accompagné de son clergé, sortait par cette
porte, récitait les prières usitées, bénissait
la pyramide et mettait ensuite le feu, avec un cierge,
à des petits monceaux de paille disposés
aux huit coins du cône de verdure. La flamme
s'élevait aussitôt pétillante, au milieu
des cris de joie, des coups de fusil des assistants,
qui ne se dispersaient que lorsque le tout
était entièrement consumé. |