Voe victis ! dit la sagesse
des nations ; malheur aux vaincus ! non
seulement à cause des désastres, conséquences
naturelles d'une défaite, mais aussi parce
que les vaincus ont toujours tort.
Ils souffrent matériellement, ils souffrent
dans leur amour-propre blessé, ils souffrent
dans leur réputation comme soldats.
Qu'ils aient combattu un contre dix, un contre vingt, qu'ils
aient fait des prodiges de valeur,
ce sont toujours des vaincus ; à peine trouvent-ils grâce
chez leurs compatriotes. L'histoire ne
consigne que leur défaite. Ils recueillent
bien, par-ci par-là, quelques louanges
des écrivains de leur nation ; mais ces louanges sont presque
toujours mêlées de reproches.
(...)
Voe victis ! Le 13 septembre
1759, jour néfaste dans les annales
de la France, l'armée anglaise, commandée
par le général Wolfe, après avoir trompé
la vigilance des sentinelles
françaises, et surpris les avant-postes
pendant une nuit sombre, était rangée en bataille
le matin sur les plaines d'Ahraham, où
elle avait commencé à se retrancher. Le
général Montcalm, emporté par son courage
chevaleresque, ou jugeant peut-être aussi
qu'il était urgent d'interrompre des travaux dont les conséquences
pouvaient devenir funestes, attaqua les
Anglais avec une portion seulement de ses
troupes, et fut vaincu, comme il devait l'être avec des
forces si disproportionnées à celles
de l'ennemi. Les deux généraux scellèrent
de leur sang cette bataille mémorable, Wolfe en dotant l'Angleterre
d'une colonie presque aussi vaste
que la moitié de l'Europe, Montcalm en
faisant perdre à la France une immense contrée
que son roi et ses imprévoyants ministres
appréciaient d'ailleurs fort peu.
Malheur aux vaincus ! Si
le marquis de Montcalm eût remporté la
victoire sur l'armée anglaise, on l'aurait élevé jusqu'aux
nues, au lieu de lui reprocher de n'avoir
pas attendu les renforts qu'il devait recevoir
de monsieur de Vaudreuil et du colonel
de Bougainville ; on aurait admiré sa tactique
d'avoir attaqué brusquement l'ennemi avant qu'il
eût le temps de se reconnaître, et d'avoir profité
des accidents de terrain pour se retrancher
dans des positions inexpugnables ; on aurait
dit que cent hommes à l'abri de retranchements en valent
mille à découvert ; on n'aurait point attribué au
général Montcalm des motifs de basse jalousie, indignes
d'une grande âme : les lauriers brillants
qu'il avait tant de fois cueillis sur de glorieux champs
de bataille, l'auraient mis à couvert de
tels soupçons.
Voe victis ! La cité
de Québec, après la funeste bataille du 13 septembre, n'était
plus qu'un monceau de ruines
; les fortifications n'étaient pas même
à l'abri d'un coup de main, car une partie
des remparts s'écroulait, les magasins
étaient épuisés de munitions ; les artilleurs,
plutôt pour cacher leur détresse que pour
nuire à l'ennemi, ne tiraient qu'un coup de canon à longs
intervalles contre les batteries formidables
des Anglais. Il n'y avait plus de vivres
et l'on a cependant accusé de pusillanimité
la brave garnison qui avait tant souffert et qui s'était
défendue si vaillamment. Si le gouverneur,
nouveau Nostradamus, eût su que le chevalier de
Lévis était à portée de secourir
la ville, et qu'au lieu de capituler, il
eût attendu l'arrivée des troupes françaises, il est encore
certain que, loin d'accuser la garnison
de pusillanimité, on eût élevé son courage jusqu'au ciel.
Certes, la garnison s'est montrée bien lâche
en livrant une ville qu'elle savait ne pouvoir défendre
! Elle devait, confiante en l'humanité
de l'ennemi qui avait promené le fer et le feu dans les
paisibles campagnes, faire fi de la vie
des citadins, de l'honneur de leurs femmes
et de leurs filles exposées à toutes les
horreurs d'une ville prise d'assaut ! Elle
a été bien lâche cette pauvre garnison ! Malheur aux vaincus
! |