LES PLAINES D'ABRAHAM
(Les Anciens Canadiens)
   Philippe Aubert de Gaspé

Nous connaissons tous les vainqueurs de la bataille des plaines d'Abraham : les troupes anglaises du général Wolfe. Les vaincus : les troupes françaises du général Montcalm. Philippe Aubert de Gaspé raconte les faits.

Il semble qu'il s'en soit fallu de peu pour que les Français aient gagné cette bataille, notez à quel point quelquefois, l'Histoire se joue sur peu de chose.

Voe victis ! dit la sagesse des nations ; malheur aux vaincus ! non seulement à cause des désastres, conséquences naturelles d'une défaite, mais aussi parce que les vaincus ont toujours tort. Ils souffrent matériellement, ils souffrent dans leur amour-propre blessé, ils souffrent dans leur réputation comme soldats. Qu'ils aient combattu un contre dix, un contre vingt, qu'ils aient fait des prodiges de valeur, ce sont toujours des vaincus ; à peine trouvent-ils grâce chez leurs compatriotes. L'histoire ne consigne que leur défaite. Ils recueillent bien, par-ci par-là, quelques louanges des écrivains de leur nation ; mais ces louanges sont presque toujours mêlées de reproches. (...)

Voe victis ! Le 13 septembre 1759, jour néfaste dans les annales de la France, l'armée anglaise, commandée par le général Wolfe, après avoir trompé la vigilance des sentinelles françaises, et surpris les avant-postes pendant une nuit sombre, était rangée en bataille le matin sur les plaines d'Ahraham, où elle avait commencé à se retrancher. Le général Montcalm, emporté par son courage chevaleresque, ou jugeant peut-être aussi qu'il était urgent d'interrompre des travaux dont les conséquences pouvaient devenir funestes, attaqua les Anglais avec une portion seulement de ses troupes, et fut vaincu, comme il devait l'être avec des forces si disproportionnées à celles de l'ennemi. Les deux généraux scellèrent de leur sang cette bataille mémorable, Wolfe en dotant l'Angleterre d'une colonie presque aussi vaste que la moitié de l'Europe, Montcalm en faisant perdre à la France une immense contrée que son roi et ses imprévoyants ministres appréciaient d'ailleurs fort peu.

Malheur aux vaincus ! Si le marquis de Montcalm eût remporté la victoire sur l'armée anglaise, on l'aurait élevé jusqu'aux nues, au lieu de lui reprocher de n'avoir pas attendu les renforts qu'il devait recevoir de monsieur de Vaudreuil et du colonel de Bougainville ; on aurait admiré sa tactique d'avoir attaqué brusquement l'ennemi avant qu'il eût le temps de se reconnaître, et d'avoir profité des accidents de terrain pour se retrancher dans des positions inexpugnables ; on aurait dit que cent hommes à l'abri de retranchements en valent mille à découvert ; on n'aurait point attribué au général Montcalm des motifs de basse jalousie, indignes d'une grande âme : les lauriers brillants qu'il avait tant de fois cueillis sur de glorieux champs de bataille, l'auraient mis à couvert de tels soupçons.

Voe victis ! La cité de Québec, après la funeste bataille du 13 septembre, n'était plus qu'un monceau de ruines ; les fortifications n'étaient pas même à l'abri d'un coup de main, car une partie des remparts s'écroulait, les magasins étaient épuisés de munitions ; les artilleurs, plutôt pour cacher leur détresse que pour nuire à l'ennemi, ne tiraient qu'un coup de canon à longs intervalles contre les batteries formidables des Anglais. Il n'y avait plus de vivres et l'on a cependant accusé de pusillanimité la brave garnison qui avait tant souffert et qui s'était défendue si vaillamment. Si le gouverneur, nouveau Nostradamus, eût su que le chevalier de Lévis était à portée de secourir la ville, et qu'au lieu de capituler, il eût attendu l'arrivée des troupes françaises, il est encore certain que, loin d'accuser la garnison de pusillanimité, on eût élevé son courage jusqu'au ciel. Certes, la garnison s'est montrée bien lâche en livrant une ville qu'elle savait ne pouvoir défendre ! Elle devait, confiante en l'humanité de l'ennemi qui avait promené le fer et le feu dans les paisibles campagnes, faire fi de la vie des citadins, de l'honneur de leurs femmes et de leurs filles exposées à toutes les horreurs d'une ville prise d'assaut ! Elle a été bien lâche cette pauvre garnison ! Malheur aux vaincus !


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