Une pile
d'assiettes de vraie porcelaine de Chine,
deux carafes de vin blanc, deux tartes,
un plat d'œufs à la neige, des gaufres,
une jatte de confitures, sur une petite
table couverte d'une nappe blanche, près du buffet, composaient
le dessert de ce souper d'un ancien seigneur canadien.
À un des angles de la chambre était une
fontaine, de la forme d'un baril, en porcelaine
bleue et blanche, avec robinet et cuvette,
qui servait aux ablutions de la famille.
À un angle opposé, une grande canevette*,
garnie de flacons carrés, contenant l'eau-de-vie,
l'absinthe, les liqueurs
de noyau, de framboises,
de cassis, d'anisette,
etc., pour l'usage journalier, complétait
l'ameublement de cette salle. Le couvert était dressé pour
huit personnes. Une cuillère et une fourchette
d'argent, enveloppées dans une serviette, étaient placées
à gauche de chaque assiette, et une bouteille de vin léger
à la droite. Point de couteau sur la table
pendant le service des viandes : chacun
était muni de cet utile instrument, dont
les Orientaux savent seuls se passer. Si
le couteau était à ressort, il se portait
dans la poche, si c'était, au contraire, un couteau-poignard,
il était suspendu au cou dans une gaine
de maroquin, de soie,
ou même d'écorce de bouleau, artistement
travaillée et ornée par les aborigènes.
Les manches étaient généralement d'ivoire,
avec des rivets d'argent, et même en nacre
de perles pour les dames. Il y avait aussi à droite de chaque
couvert une coupe ou un gobelet
d'argent de différentes formes et de différentes grandeurs
: les uns de la plus grande simplicité,
avec ou sans anneaux, les autres avec des
anses ; quelques-uns en forme de calice,
avec ou sans pattes, ou relevés en bosse
; beaucoup aussi étaient dorés en dedans.
Une servante, en apportant
sur un cabaret le coup d'appétit d'usage,
savoir, l'eau-de-vie pour les hommes et
les liqueurs douces pour les femmes, vint
prévenir qu'on était servi. Huit personnes
prirent place à table : M. de Beaumont et son épouse,
Mme Descarrières, leur sœur, le curé,
le capitaine Marcheterre, son fils Henri,
et enfin Jules et Arché. La maîtresse de la maison
donna la place d'honneur au vénérable
| curé, en le plaçant à sa droite,
et la seconde place au vieux marin, à sa
gauche. Le menu du repas était composé d'un excellent potage
(la soupe était alors de rigueur, tant
pour le dîner que pour le souper), d'un pâté
froid, appelé pâté de Pâques, servi, à cause de son immense
volume, sur une planche recouverte d'une serviette ou petite
nappe blanche, suivant ses proportions.
Ce pâté, (...) était composé d'une dinde,
de deux poulets, de deux perdrix,
de deux pigeons, du râble
et des cuisses de deux lièvres
: le tout recouvert de bardes de lard
gras. Le godiveau de viandes hachées,
sur lequel reposaient, sur un lit épais et mollet,
ces richesses gastronomiques, et qui en
couvrait aussi la partie supérieure, était le produit
de deux jambons de cet animal que le juif
méprise, mais que le chrétien | traite
avec plus d'égards. De gros oignons,
introduits çà et là, et de fines épices,
complétaient le tout. Mais un point très important en était
la cuisson, d'ailleurs assez difficile
; car, si le géant crevait, il perdait
alors cinquante pour cent de son acabit.
Pour prévenir un événement aussi déplorable,
la croûte du dessous, qui recouvrait encore
de trois pouces les flancs du monstre culinaire,
n'avait pas moins d'un pouce d'épaisseur. Cette croûte
même, imprégnée du jus de toutes ces viandes,
était une partie délicieuse de ce mets
unique. Des poulets et des perdrix rôtis, recouverts de
doubles bardes de lard, des pieds de cochon à la Sainte-Menehould,
un civet (...), furent en outre les autres
mets que l'hospitalité du seigneur de Beaumont
put offrir à ses amis.
* canevette : Mot issu
du vieux français sans doute synonyme de plateau. |