L'incendie - Un soir que
je commençais à m'endormir, je fus réveillé
par des cris : Au feu ! Inquiet, effrayé, je cherchai à
me débarrasser de la courroie qui me retenait
; mais j'eus beau tirer, me rouler à terre, la maudite
courroie ne cassait pas. J'eus enfin l'heureuse idée de
la couper avec mes dents : j'y parvins
après quelques efforts. La lueur de l'incendie éclairait
ma pauvre écurie ; les cris, le bruit augmentaient
; j'entendais les lamentations des domestiques,
le craquement des murs, des planchers qui s'écroulaient,
le ronflement des flammes ; la fumée pénétrait déjà dans
mon écurie, et personne ne songeait à moi ; personne n'avait
la charitable pensée d'ouvrir seulement
ma porte pour me faire échapper. Les flammes augmentaient
de violence ; je sentais une chaleur incommode
qui commençait à me suffoquer. « C'est
fini, me dis-je, je suis condamné à brûler vif ; quelle
mort affreuse ! Oh ! Pauline ! Ma chère maîtresse ! Vous
avez oublié votre pauvre Cadichon. »
À peine avais-je, non pas
prononcé, mais pensé ces paroles, que ma porte s'ouvrit
avec violence, et j'entendis la voix terrifiée
de Pauline qui m'appelait. Heureux d'être sauvé, je
m'élançai vers elle, et nous allions passer la
porte, lorsqu'un craquement épouvantable
nous fit reculer. Un bâtiment en face de mon écurie s'était
écroulé ; ses débris bouchaient tout passage
: ma pauvre maîtresse devait périr pour
avoir voulu me délivrer. La fumée, la poussière de l'éboulement
et la chaleur nous suffoquaient. Pauline
se laissa tomber près de moi. Je pris subitement
un parti dangereux, mais qui seul pouvait nous
sauver. Je saisis avec mes dents la robe de ma petite maîtresse
presque évanouie, et je m'élançai à travers
les poutres enflammées qui couvraient la
terre. J'eus le bonheur de tout traverser sans que sa robe
prit feu ; je m'arrêtai pour voir de quel côté je devais
me diriger, tout brûlait autour de nous. Désespéré,
découragé, j'allais poser à terre Pauline
complètement évanouie, lorsque j'aperçus une cave ouverte
; je m'y précipitai, sachant bien que nous serions en sûreté
dans les caves voûtées du château. Je déposai
Pauline près d'un baquet plein d'eau, afin qu'elle pût s'en
mouiller le front et les tempes en revenant à elle, ce
qui ne tarda pas à arriver.
Quand elle se vit sauvée
et à l'abri de tout danger, elle se jeta
à genoux, et fit une prière touchante pour remercier Dieu
de l'avoir préservée d'un si terrible danger. Ensuite elle
me remercia avec une tendresse et une reconnaissance qui
m'attendrirent. Elle but quelques gorgées de l'eau du baquet
et écouta. Le feu continuait ses ravages,
tout brûlait ; on entendait encore quelques cris, mais vaguement,
et sans pouvoir reconnaître les voix. « Pauvre maman et
pauvre papa ! dit Pauline, ils doivent croire que j'ai péri
en leur désobéissant, en allant à la recherche de Cadichon.
» Maintenant il faut attendre que le feu soit éteint.
Nous passerons sans doute la nuit dans la cave. Bon Cadichon,
ajouta-t-elle, C'est grâce à toi que je vis. Elle ne parla
plus ; elle s'était assise sur une caisse renversée, et
je vis qu'elle dormait. Sa tête était appuyée
sur un tonneau vide. Je me sentais fatigué, et j'avais soif.
Je bus l'eau du baquet ; je m'étendis près
de la porte, et je ne tardai pas à m'endormir de mon côté. |