Les cheveux mouillés - Sophie
était coquette ; elle aimait à être
bien mise et à être trouvée jolie. Et pourtant
elle n'était pas jolie ; elle avait une bonne grosse figure
bien fraîche, bien gaie, avec de très beaux yeux gris, un
nez en l'air et un peu gros, une bouche grande et toujours
prête à rire, des cheveux blonds pas frisés, et coupés court
comme ceux d'un garçon. Elle aimait à être bien mise et
elle était toujours très mal habillée : une simple robe
en percale blanche, décolletée et à manches
courtes, hiver comme été, des bas un peu gros et des souliers
de peau noire. Jamais de chapeau ni de gants. Sa maman pensait
qu'il était bon de l'habituer au soleil, à la pluie, au
vent, au froid. Ce que Sophie désirait beaucoup, c'était
d'avoir les cheveux frisés. Elle avait un jour entendu admirer
les jolis cheveux blonds frisés d'une de ses petites amies,
Camille de Fleurville, et depuis, elle avait toujours
tâché de faire friser les siens.
Entre autres inventions,
voici ce qu'elle imagina de plus malheureux.
Un après-midi il pleuvait très fort et il faisait très chaud,
de sorte que les fenêtres et la porte du perron étaient
restées ouvertes. Sophie était à la porte ; sa maman lui
avait défendu de sortir ; de temps en temps
elle allongeait le bras pour recevoir la pluie ; puis elle
allongea un peu le cou pour en recevoir quelques gouttes
sur la tête. En passant sa tête ainsi en dehors, elle vit
que la gouttière débordait et qu'il en
tombait un grand jet d'eau de pluie. Elle
se souvint en même temps que les cheveux de Camille frisaient
mieux quand ils étaient mouillés. « Si je mouillais les
miens, dit-elle, ils friseraient peut-être ! ». Et voilà
Sophie qui sort malgré la pluie, qui met
sa tête sous la gouttière, et qui reçoit, à sa grande joie,
toute l'eau sur la tête, sur le cou, sur les bras, sur le
dos. Lorsqu'elle fut bien mouillée, elle rentra au salon
et se mit à essuyer sa tête avec son mouchoir, en ayant
soin de rebrousser ses cheveux pour les
faire friser. Son mouchoir fut trempé en
une minute ; Sophie voulut courir dans sa chambre pour en
demander un autre à sa bonne, lorsqu'elle se trouva nez
à nez avec sa maman. Sophie, toute mouillée, les cheveux
hérissés l'air effaré
resta immobile et tremblante.
La maman, étonnée d'abord,
lui trouva une figure si ridicule qu'elle
éclata de rire.
- Voilà une belle idée que vous avez eue, mademoiselle !
lui dit-elle. Si vous voyiez la figure que vous avez, vous
ririez de vous-même comme je le fais maintenant.
Je vous avais défendu de sortir ; vous avez désobéi
comme d'habitude ; pour votre punition vous allez rester
à dîner comme vous êtes, les cheveux en l'air, la robe trempée,
afin que votre papa et votre cousin Paul voient vos belles
inventions. Voici un mouchoir pour achever
de vous essuyer la figure, le cou et les bras. Au moment
où Mme de Réan finissait de parler, Paul entra avec M. de
Réan ; tous deux s'arrêtèrent stupéfaits
devant la pauvre Sophie, rouge, honteuse,
désolée et ridicule ; et tous deux éclatèrent de rire. Plus
Sophie rougissait et baissait la tête, plus elle prenait
un air embarrassé et malheureux, et plus
ses cheveux ébouriffés et ses vêtements mouillés lui donnaient
un air risible. |