TEMPÊTE D'HIVER
(La Noël au Canada)
   Louis Fréchette

Deux amis, dont l'un est médecin, décident d'aller passer la soirée de Noël chez un ancien camarade, isolé dans un petit village. Après une étape dans une auberge, ils repartent, malgré les conseils de Filion le propriétaire. La tempête est trop forte selon lui, ce n'est pas prudent.

La situation empire très rapidement, notez les étapes.

L'aubergiste avait dit vrai : moins d'une heure après, nous cheminions à l'aveugle, dans des chemins impraticables, en pleine nuit et perdus dans un tourbillon de neige et de grêle dont ne peuvent se faire une idée ceux qui ne l'ont pas vu. Après avoir gravi des escarpements à pic au sommet desquels nos chevaux avaient peine à s'arc-bouter contre le vent, il nous fallait descendre dans d'immenses ravins bordés de sapins géants, où ils disparaissaient presque dans des amoncellements de neige mouvante, à moitié étranglés par la rafale. Nous n'avancions plus que le pas naturellement, et sans trop savoir où nous allions, car les pauvres bêtes épuisées et aveuglées par le grésil ne marchaient plus que la tête baissée, se laissant guider au petit bonheur.
- Si nous tournions bride, dis-je au cocher. Il est évident que nous ne pouvons guère aller plus loin.
- Revirer ? fit le pauvre homme, qui avait l'air de se repentir de ses fanfaronnades de tout à l'heure ; il est trop tard, monsieur je ne vois plus clair ni mes chevaux non plus. En revirant, nous risquerions de manquer le chemin, et alors je donnerais pas cinq sous de nos trois peaux.

Le docteur ne disait rien, mais j'oserais bien affirmer qu'il n'en pensait pas moins. La situation était presque désespérée ; car, si nous ne pouvions retourner sur nos pas, il était d'autant plus impossible de nous arrêter là que le froid, jusqu'alors assez supportable, augmentait d'intensité d'une façon terrible, et malgré nos épaisses fourrures commençait à nous envahir de la tête aux pieds. Nous n'avions pas d'autre alternative, il fallait avancer, avancer quand même et à tout risque. Messieurs, j'ai été en détresse un jour sur mer, avec bien peu d'espoir d'en réchapper, je vous assure. Eh bien, nulle angoisse de naufragé ne saurait être comparée à ce que, mon compagnon et moi, nous éprouvâmes ce soir-là, quand nous nous vîmes ainsi perdus dans cette nuit, cette solitude et cette tempête, à des milliers d'arpents de toute habitation, peut-être, à moitié paralysés par un froid de loup, et allant à l'aventure, traînés par deux pauvres chevaux épuisés, qui menaçaient de s'abattre à chaque instant dans l'aveuglant | tourbillon.

La chose ne tarda pas, du reste. Tout à coup, notre cheval de brancard s'arrêta net en renâclant, secoué par un accès de tremblement convulsif : son compagnon de traits venait de perdre pied au bord d'une déclivité, et se débattait sur le flanc, enseveli dans une fondrière de neige.
- Le maudit Filion nous a ensorcelés ! s'écria notre malheureux cocher, en se précipitant à la tête du second cheval, qu'un mouvement de l'autre pouvait entraîner avec lui. Si nous avons perdu le chemin, il ne nous reste plus qu'à faire notre prière, Messieurs ! Malgré ces paroles désespérées, le pauvre diable avait pourtant réussi à dégager de l'attelage le cheval abattu, et sauvé ainsi une partie de la situation. Mais que faire maintenant : Laisser le pauvre animal périr dans la neige ? Il fallait d'abord savoir si l'autre serait de force à poursuivre la route tout seul. Nous mîmes pied à terre - quand je dis pied à terre, c'est manière de m'exprimer, car sortir de voiture dans ces conditions, c'était plutôt se jeter à la nage - et nous essayâmes de porter secours à l'infortuné Vadeboncœur, à qui, au moins, il restait encore le courage de vouloir sauver son cheval. Mon Dieu, quelle nuit ! Je ne souhaiterais pas à mon plus mortel ennemi d'en voir une semblable.

Tout à coup notre cocher poussa un cri de joie :
- Une barrière ! nous sommes sauvés !
En effet, du côté opposé à la déclivité dans laquelle s'était enfoncé le cheval, notre homme avait rencontré une clôture ; et en tâtonnant pour s'emparer d'une perche qui pût l'aider dans son œuvre de sauvetage, il avait mis la main sur une barrière. Une barrière, c'était une maison ; et une maison, c'était le salut.


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