UN RÊVE
(Contes)
   Louis Fréchette

Il s'agit d'une histoire fantastique. Cet officier de l'armée, la nuit précédente a fait un rêve qu'il croit prémonitoire. Le lendemain, la vraie vie, la vraie bataille se déroule sous ses yeux... peut-il tirer profit de son rêve ?

Notez les motivations qui dictent les actions de notre héros.

J'assistai au réveil des troupes, à la mise en marche de l'armée. Je vis les régiments se ranger en ligne de combat, les batteries s'établir sur les hauteurs, les escadrons de cavalerie prendre leurs positions. J'entendis gronder le canon, crépiter la fusillade. Et dans les cris, les fanfares et les hennissements, je regardais s'engager la bataille. J'étais avec le général Banks, sur un plateau d'où nous pouvions assez facilement suivre les péripéties de la grande lutte.

Tout à coup - à propos de quoi, je n'en sais rien - mon cheval s'ébroue, s'emporte, s'emballe, prend le mors aux dents et s'élance à fond de train en dehors des lignes, à l'endroit le plus périlleux, en plein à découvert sous le feu de l'ennemi. Les balles me sifflaient aux oreilles par centaines. Affolé, je gourme l'animal, je lui casse les dents, je lui labourais le ventre, je l'écrase sous moi. Inutile, ce ne fut qu'après un quart d'heure, long comme un siècle, que je pus le maîtriser et revenir à mon poste.
- Ce n'est pas du courage, cela, me dit Banks, c'est de la témérité. Un vrai brave ne s'expose pas inutilement, entendez-vous major ?
Il s'imaginait, tout bonnement, que j'étais allé faire ce tour-là par fanfaronnade. Je n'eus pas le courage de lui ôter cette illusion, je préférai passer pour un extravagant.
- Tenez, reprit Banks, en crayonnant deux lignes sur l'arçon de sa selle, faites quelque chose d'utile ; allez porter ceci au général Smith.
Smith commandait l'aile droite ; je partis au galop. À peu de distance, une maison en briques - que je vois encore avec ses contrevents | disloqués et ses têtes de cheminées déchiquetées par les balles - me barrait la route. La fusillade faisait rage à cet endroit ; tout naturellement, je lançai mon cheval par derrière la maison. Malédiction ! Juste au moment où je franchissais l'espace abrité, j'eus la sensation d'un fracas épouvantable, et me voilà englouti sous une avalanche de briques, de pierres, de débris de charpente et de décombres de toute espèce. Un boulet venait de passer à travers la maison et l'avait démolie de la cave aux mansardes. Quant à moi, j'étais mort... ou plutôt je m'éveillai sous ma tente, la tête en feu, le corps en nage. Le tambour battait. Une tasse de café, pendant qu'on sonne le boute-selle, et en avant ! Pour tout de bon, cette fois. Mon rêve m'était encore tout frais à la mémoire. (...)

Écoute bien ceci, mon ami, et dis-moi ce que tu aurais éprouvé à ma place. À un certain moment où la canonnade battait son plein, je vis le général Banks écrire quelques mots au crayon sur une feuille de calepin appuyée sur ses arçons, puis se tourner vers moi en disant :
- Major, veuillez porter ceci au général Smith. Ainsi que dans ma vision de la nuit - chose que je n'avais pu prévoir cependant - le général Smith avait pris sa position sur la droite. Je partis, un peu pâle sans doute, et... Me voilà en face de la terrible maison en briques, que j'avais vu s'écrouler sur moi dans mon rêve ! C'était elle, exactement elle. Je la reconnaîtrais encore entre mille. À cette vue, le cœur me tressauta dans la poitrine. Je sentis mon courage défaillir ; et n'eussent été le sentiment de la discipline, et peut-être aussi un peu d'amour-propre, j'aurais rebroussé chemin. Dans tous les cas, me dis-je à part moi, le diable ne me fera pas passer par derrière ! Et je lançai mon cheval à bride abattue, en plein sous les confédérées, tout droit par-devant la bâtisse. Juste en face, la bête se cabre et s'affaisse. Un boulet venait de lui effleurer le nez, et la maison sautait en mille pièces. Je me relevai sans une égratignure. Si j'avais passé derrière, j'étais infailliblement mis en marmelade ! Le soir nous étions battus. Les Unionistes avaient perdu la bataille de Sabine Cross Road. Et moi, j'avais perdu un pur sang magnifique, que je n'ai jamais revu, pas plus que mon ordonnance. Pourvu que l'un n'ait pas porté malheur à l'autre... Le lendemain, en retraitant, le général me disait :
- Major, pourquoi donc avez-vous passé en face de cette maison, hier ? Ce n'est pas du courage, cela ; c'est de la témérité. Un brave...
- N'expose pas sa vie inutilement ! Oui, je sais ça par cœur, dis-je en l'interrompant. Le général me regarda sans comprendre...


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