Je ne remarquai ces choses
qu'après que le domestique, déposant son
bougeoir sur la table de nuit, m'eut
souhaité un bon somme, et, je l'avoue, je commençai
à trembler comme la feuille. Je me déshabillai
promptement, je me couchai, et, pour en
finir avec ces sottes frayeurs, je fermai
bientôt les yeux en me tournant du côté de la muraille.
Mais il me fut impossible de rester dans cette position
: le lit s'agitait sous moi comme une vague. Mes paupières
se retiraient violemment en arrière. Force me fut de me
retourner et de voir. Le feu qui flambait jetait des reflets
rougeâtres dans l'appartement, de sorte
qu'on pouvait sans peine distinguer les personnages de la
tapisserie et les figures des portraits
enfumés pendus à la muraille. C'étaient
les aïeux de notre hôte, des chevaliers
bardés de fer, des conseillers en perruque, et de belles
dames au visage fardé et aux cheveux poudrés à blanc, tenant
une rose à la main. Tout à coup le feu prit un étrange degré
d'activité ; une lueur blafarde illumina
la chambre, et je vis clairement que ce que j'avais pris
pour de vaines peintures était la réalité ; car les prunelles
de ces êtres encadrés remuaient, scintillaient d'une façon
singulière ; leurs lèvres s'ouvraient et se fermaient comme
des lèvres de gens qui parlent, mais je n'entendais rien
que le tic-tac de la pendule et le sifflement de la bise
d'automne.
Une terreur insurmontable
s'empara de moi, mes cheveux se hérissèrent
sur mon front, mes dents s'entre-choquèrent
à se briser, une sueur froide inonda tout mon corps. La
pendule sonna onze heures. Le vibrement du dernier coup
retentit longtemps, et, lorsqu'il fut éteint tout à fait...
Oh ! Non, je n'ose pas dire ce qui arriva, personne ne me
croirait, et l'on me prendrait pour un fou. Les bougies
s'allumèrent toutes seules ; le soufflet, sans qu'aucun
être visible lui imprimât le mouvement,
se prit à souffler le feu, en râlant comme un vieillard
asthmatique, pendant que les pincettes
fourgonnaient dans les tisons et que la pelle relevait les
cendres. Ensuite une cafetière se jeta en bas d'une table
où elle était posée, et se dirigea, clopin-clopant,
vers le foyer, où elle se plaça entre les tisons. Quelques
instants après, les fauteuils commencèrent à s'ébranler,
et, agitant leurs pieds tortillés d'une manière surprenante,
vinrent se ranger autour de la cheminée. Je ne savais que
penser de ce que je voyais ; mais ce qui me restait à voir
était encore bien plus extraordinaire.
Un des portraits, le plus
ancien de tous, celui d'un gros joufflu
à barbe grise, ressemblant, à s'y méprendre,
à l'idée que je me suis faite du vieux sir John Falstaff,
sortit, en grimaçant, la tête de son cadre, et, après de
grands efforts, ayant fait passer ses épaules et son ventre
rebondi entre les ais étroits de la bordure, sauta lourdement
par terre. Il n'eut pas plutôt pris haleine,
qu'il tira de la poche de son pourpoint une clef d'une petitesse
remarquable ; il souffla dedans pour s'assurer si la forure
était bien nette, et il l'appliqua à tous les cadres les
uns après les autres. Et tous les cadres s'élargirent de
façon à laisser passer aisément les figures
qu'ils renfermaient. (...) Ces dignes personnages s'assirent
; la cafetière sauta légèrement sur la table. Ils prirent
le café dans des tasses du Japon blanches
et bleues, qui accoururent spontanément
de dessus un secrétaire, chacune d'elles munie d'un morceau
de sucre et d'une petite cuiller d'argent. Quand le café
fut pris, tasses, cafetières et cuillers
disparurent à la fois, et la conversation commença, certes
la plus curieuse que j'aie jamais ouïe car aucun de ces
étranges causeurs ne regardait l'autre
en parlant : ils avaient tous les yeux fixés sur la pendule. |