- Va ouvrir
le cabinet et amène-moi Charles, qui mérite
une punition pour n'avoir pas répondu quand
je l'ai appelé.
Betty sortit, et, après quelques instants, rentra précipitamment
en feignant une grande frayeur.
- Madame ! Charlot est étendu mort sur le plancher ! Quand
je le disais ! Les fées l'ont étranglé.
Mme Mac'Miche se dirigea avec épouvante
vers le cabinet et aperçut en effet Charles étendu par terre
sans mouvement, le visage blanc comme un marbre. Elle voulut
l'approcher, le toucher ; mais Charles, qui n'était pas
tout à fait mort, fut pris de convulsions
et détacha à sa cousine force coups de poing et coups de
pied. La frayeur tenait Mme Mac'Miche clouée sur
place. Un coup de poing bien appliqué fit tomber
ses fausses dents ; avant qu'elle eût pu les saisir, Charles
se roula vers Betty et lui glissa les dents de sa cousine.
- Dans sa soupe, dit-il tout bas.
Les convulsions de Charles
avaient cessé ; son visage avait repris sa teinte rose accoutumée
; les sourcils seuls étaient restés comme imprégnés
de poudre blanche... Mme Mac'Miche ne savait trop que penser
de cette scène ; après avoir promené ses regards courroucés
de Charles à la bonne, elle tira les cheveux du premier
pour l'aider à se relever. Le moyen réussit : Charles sauta
sur ses pieds et s'y maintint très ferme.
- Que veut dire tout cela, petit drôle
? dit-elle, furieuse.
- Ma cousine, ce sont les fées !
- Tais-toi, insolent, mauvais garnement
! Tu auras affaire à moi !
- Ma cousine, je vous assure... que je suis désolé pour
vos dents... dit Charles.
- C'est bon, rends-les-moi !
- Je ne les ai pas, ma cousine, dit Charles en ouvrant ses
mains ; je n'ai rien...
La cousine le fouilla, chercha partout, mais en vain. Il
est probable que ce sont les fées qui ont emporté les dents
de Madame, déclara Betty.
- Sotte ! dit Mme Mac'Miche en s'éloignant précipitamment.
Venez lire, monsieur ! et tout de suite ! Charles aurait
bien voulu s'esquiver, mais la cousine
le tenait par l'oreille ; il fallut s'asseoir et lire. Son
supplice fut heureusement interrompu par
le dîner.
Les événements qui venaient
de se passer effacèrent du souvenir de Mme Mac'Miche la
punition de Charles : elle le laissa dîner comme d'habitude.
À peine Mme Mac'Miche eut-elle mangé deux
cuillerées de potage qu'elle aperçut un corps dur dans son
assiette ; croyant que c'était un os, elle chercha à le
retirer et vit... ses dents ! La joie de les retrouver adoucit
la colère qui cherchait à se faire jour
; car, malgré sa crédulité aux fées et
la frayeur qu'elle en avait, elle conservait ses doutes
sur le rôle que leur avaient fait jouer Betty et Charles
et se promit de redoubler de surveillance et de
sévérité. Quand elle eut fini son café, elle appela
Charles pour lui faire encore la lecture. Forcé d'obéir,
il s'assit tristement et commença à lire. Au bout de dix
minutes, il leva les yeux. Bonheur ! la cousine dormait
! Charles se leva doucement, vida le reste du café dans
la tabatière de sa cousine, cacha son livre
dans la boîte à thé, son ouvrage dans le foyer de la cheminée
et s'esquiva lentement sans l'avoir éveillée. |