LES MISÉRABLES
Accomplissement de la promesse
   Victor Hugo

Entre l'histoire du vol chez l'évêque, et celle-ci, Jean Valjean essaie de remplir sa « promesse » : ne faire que le bien. Après avoir rencontré la mère de Cosette, pauvre femme qui a dû abandonner son enfant et qui est morte de maladie, Jean Valjean se rend à l'auberge où Cosette sert de servante. Elle y est maltraitée. Ici on lui reproche d'avoir joué avec la poupée des filles de la maison.

Remarquez chez Cosette les signes qui laissent croire qu'elle est vraiment terrorisée.

Cosette tressaillit comme si la terre eût tremblé sous elle. Elle se retourna.
- Cosette ! répéta la Thénardier.
Cosette prit la poupée et la posa doucement à terre avec une sorte de vénération mêlée de désespoir. Alors, sans la quitter des yeux, elle joignit les mains, et, ce qui est effrayant à dire dans un enfant de cet âge, elle se les tordit ; puis, ce que n'avait pu lui arracher aucune des émotions de la journée, ni la course dans le bois, ni la pesanteur du seau d'eau, ni la perte de l'argent, ni la vue du martinet, ni même la sombre parole qu'elle avait entendu dire à la Thénardier, elle pleura. Elle éclata en sanglots. Cependant le voyageur s'était levé.
- Qu'est-ce donc dit-il à la Thénardier.
- Vous ne voyez pas dit la Thénardier en montrant du doigt le corps du délit qui gisait aux pieds de Cosette.
- Hé bien, quoi ? reprit l'homme.
- Cette gueuse, répondit la Thénardier, s'est permis de toucher à la poupée des enfants !
- Tout ce bruit pour cela ! dit l'homme. Eh bien quand elle jouerait avec cette poupée ?
- Elle y a touché avec ses mains sales ! poursuivit la Thénardier, avec ses affreuses mains !
Ici Cosette redoubla ses sanglots.
- Te tairas-tu ! cria la Thénardier.

L'homme alla droit à la porte de la rue, l'ouvrit et sortit. Dès qu'il fut sorti, la Thénardier profita de son absence pour allonger sous la table à Cosette un grand coup de pied qui fit jeter à l'enfant les hauts cris. La porte se rouvrit, l'homme reparut, il portait dans ses deux mains la poupée fabuleuse dont nous avons parlé, et que tous les marmots du village contemplaient depuis le matin, et il la posa debout devant Cosette en disant :
- Tiens, c'est pour toi.
Il faut croire que, depuis plus d'une heure qu'il était là, au milieu de sa rêverie, il avait confusément remarqué cette boutique de bibeloterie éclairée de lampions et de chandelles si splendidement qu'on l'apercevait à travers la vitre du cabaret comme une illumination. Cosette leva les yeux, elle avait vu venir l'homme à elle avec cette poupée comme elle eût vu venir le soleil, elle entendit ces paroles inouïes : C'est pour toi. Elle le regarda, elle regarda la poupée, puis elle recula lentement, et s'alla cacher tout au fond sous la table dans le coin du mur. Elle ne pleurait plus, elle ne criait plus, elle avait l'air de ne plus oser respirer.

La Thénardier, Éponine, Axelma étaient autant de statues. (...) La face du mari Thénardier offrit cette ride expressive qui accentue la figure humaine chaque fois que l'instinct dominant y apparaît avec toute sa puissance bestiale. Le gargotier considérait tour à tour la poupée et le voyageur ; il semblait flairer cet homme comme l'eût flairé un sac d'argent. Cela ne dura que le temps d'un éclair. Il s'approcha de sa femme et lui dit bas :
- Cette machine coûte au moins trente francs. Pas de bêtises. À plat ventre devant l'homme.
Les natures grossières ont cela de commun avec les natures naïves qu'elles n'ont pas de transition.
- Eh bien, Cosette, dit la Thénardier d'une voix qui voulait être douce et qui était toute composée de ce miel aigre des méchantes femmes, est-ce que tu ne prends pas ta poupée ?
Cosette se hasarda à sortir de son trou.
- Ma petite Cosette, reprit le Thénardier d'un air caressant, monsieur te donne une poupée. Prends-la. Elle est à toi.
Cosette considérait la poupée merveilleuse avec une sorte de terreur. Son visage était encore inondé de larmes, mais ses yeux commençaient à s'emplir, comme le ciel au crépuscule du matin, des rayonnements étranges de la joie. Ce qu'elle éprouvait en ce moment-là était un peu pareil à ce qu'elle eût ressenti si on lui eût dit brusquement : Petite, vous êtes la reine de France.


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