Pendant quatre jours, jusqu'au
3 février, le Nautilus visita la mer
d'Oman, sous diverses vitesses
et à diverses profondeurs. Il semblait
marcher au hasard, comme s'il eût
hésité sur la route à suivre, mais il ne dépassa
jamais le tropique du Cancer. En quittant
cette mer, nous eûmes un instant connaissance de Mascate,
la plus importante ville du pays d'Oman. J'admirai son aspect
étrange, au milieu des noirs rochers qui l'entourent et
sur lesquels se détachent en blanc ses
maisons et ses forts. J'aperçus le dôme
arrondi de ses mosquées, la pointe élégante
de ses minarets, ses fraîches et verdoyantes
| terrasses. Mais ce fut qu'une vision,
et le Nautilus s'enfonça bientôt sous les flots
sombres de ces parages. Puis, il prolongea
à une distance de six milles les côtes arabiques
du Mahrah et de l'Hadramant, et sa ligne ondulée
de montagnes, relevée de quelques ruines
anciennes. Le 5 février, nous donnions enfin dans le golfe
d'Aden, véritable entonnoir introduit
dans ce goulot de Babel-Mandeb, qui entonne
les eaux indiennes dans la mer Rouge. Le
6 février, le Nautilus flottait en vue
d'Aden, perché sur un promontoire qu'un isthme
étroit réunit au continent, sorte de Gibraltar
inaccessible, dont les Anglais ont refait
les fortifications, après s'en
être emparés en 1839. J'entrevis
les minarets | octogones
de cette ville qui fut autrefois l'entrepôt le plus riche
et le plus commerçant de la côte, au dire
de l'historien Edrisi. Je croyais bien que le capitaine
Nemo, parvenu à ce point, allait revenir en arrière ; mais
je me trompais, et, à ma grande surprise, il n'en fut rien.
Le lendemain, 7 février, nous embouquions
le détroit de Babel-Mandeb, dont le nom
veut dire en langue arabe : « la porte
des larmes ». Sur vingt milles de large, il ne compte que
cinquante-deux kilomètres de long, et pour le Nautilus lancé
à toute vitesse, le franchir fut l'affaire
d'une heure à peine.
Mais je ne vis rien, pas
même cette île de Périm, dont le gouvernement britannique
a fortifié la position d'Aden. Trop de steamers
anglais ou français des lignes de Suez
à Bombay, à Calcutta,
à Melbourne, à Bourbon,
à Maurice, sillonnaient cet étroit passage
pour que le Nautilus tentât de s'y montrer. Aussi se tint-il
prudemment entre deux eaux. Enfin, à midi, nous sillonnions
les flots de la mer Rouge. La mer Rouge, lac célèbre des
traditions bibliques, que les pluies ne
rafraîchissent guère, qu'aucun fleuve important n'arrose,
qu'une excessive | évaporation
pompe incessamment et qui perd chaque année
une tranche liquide haute d'un mètre et demi ! Singulier
golfe, qui, fermé et dans les conditions d'un lac, serait
peut-être entièrement desséché ; inférieur
en ceci à ses voisines la Caspienne ou
l'Asphaltite, dont le niveau a seulement
baissé jusqu'au point où leur évaporation a précisément
égalé la somme des eaux reçues dans leur sein.
Cette mer Rouge a deux mille six cents kilomètres de longueur
sur une largeur moyenne de deux cent quarante. Au temps
des Ptolemées et des empereurs
romains : elle fut la grande artère
commerciale du monde, et le percement de l'isthme
lui rendra cette antique importance que les railways
de Suez ont déjà ramenée en partie. Je ne voulus même pas
chercher à comprendre ce caprice du capitaine
Nemo qui pouvait le décider à nous entraîner dans ce golfe.
Mais j'approuvai sans réserve le Nautilus d'y être entré.
Il prit une allure moyenne, tantôt se tenant
à la surface, tantôt plongeant pour éviter quelque navire,
et je pus observer ainsi le dedans et le dessus de cette
mer si curieuse. Le 8 février, dès les premières heures
du jour, Moka nous apparut, ville maintenant ruinée,
dont les murailles touchent au seul bruit
du canon, et qu'abritent çà et là quelques dattiers
| verdoyants. Cité importante, autrefois
qui renfermait six marchés publics, vingt-six mosquées
et à laquelle ses murs, défendus par quatorze forts,
faisaient une ceinture de trois kilomètres. |