Le temps, au-dehors, était
extraordinairement sec. Les étoiles resplendissaient
avec un éclat extraordinaire. Le sergent
Long, sans tarder un instant, s'élança au milieu de l'obscurité,
entraînant dans sa course l'extrémité de la corde dont ses
compagnons conservaient l'autre bout. La
porte extérieure fut alors repoussée contre le chambranle,
et Jasper Hobson, Mac Nap et Raë rentrèrent dans le couloir,
dont ils fermèrent hermétiquement la seconde
porte. Puis ils attendirent. Si Long n'était pas revenu
après quelques minutes, on devait supposer que son entreprise
avait réussi, et qu'installé dans le hangar,
il formait le premier train de bois. Mais dix minutes au
plus devaient suffire à cette opération, si toutefois la
porte du magasin n'avait pas résisté. Pendant
ce temps, Raë surveillait le grenier et les ours.
Par cette nuit noire, on pouvait espérer que le rapide passage
du sergent leur eût échappé. Dix minutes après le départ
du sergent, Jasper Hobson, Mac Nap et Raë rentrèrent dans
l'étroit espace compris entre les deux
portes du couloir, et là ils attendirent que le signal de
haler le traîneau leur
fût fait. Cinq minutes s'écoulèrent. La corde dont ils tenaient
le bout ne remua pas. Que l'on juge de leur anxiété
! Le sergent était parti depuis un quart d'heure, laps
de temps plus que suffisant pour le chargement
du traîneau, et aucun avertissement n'était
donné.
Jasper Hobson attendit quelques
instants encore ; puis, raidissant l'extrémité
de la corde, il fit signe à ses compagnons de haler avec
lui. Si le train de bois n'était pas prêt,
le sergent saurait bien arrêter le halage.
La corde fut tirée vigoureusement. Un objet lourd vint en
glissant peu à peu sur le sol. En quelques instants, cet
objet arriva à la porte extérieure... C'était le corps du
sergent, attaché par la ceinture. L'infortuné Long
n'avait pas même pu atteindre le hangar. Il était tombé
en route, foudroyé par
le froid. Son corps, exposé pendant près de vingt minutes
à cette température, ne devait plus être qu'un cadavre.
Mac Nap et Raë, poussant un cri de désespoir,
transportèrent le corps dans le couloir ; mais, au moment
où le lieutenant voulut refermer la porte
extérieure, il sentit qu'elle était violemment
repoussée. En même temps, un horrible grognement
se fit entendre. « À moi ! » s'écria Jasper Hobson. Mac
Nap et Raë allaient se précipiter à son secours. Une autre
personne les précéda. Ce fut Mrs. Paulina
Barnett, qui vint joindre ses efforts à ceux du lieutenant
pour refermer la porte. Mais la monstrueuse
bête, s'appuyant de tout le poids de son corps la repoussait
peu à peu et allait forcer l'entrée du
couloir. Mrs. Paulina Barnett, saisissant alors un des pistolets
passés à la ceinture de Jasper Hobson, attendit avec sang-froid
l'instant où la tête de l'ours s'introduisait
entre le chambranle et la porte, et elle le déchargea dans
la gueule ouverte de l'animal. L'ours tomba en arrière,
frappé à mort sans doute, et la porte,
refermée, put être barricadée solidement.
Aussitôt, le corps du sergent
fut apporté dans la grande salle et étendu près du poêle.
Mais les derniers charbons s'éteignaient
alors ! Comment le ranimer, ce malheureux
? Comment rappeler en lui cette vie dont tout symptôme semblait
disparu ? « J'irai, moi ! j'irai ! s'écria le forgeron Raë,
j'irai chercher ce bois, ou...
- Oui, Raë ! dit une voix près de lui, et nous irons ensemble
! »
C'était sa courageuse femme qui parlait ainsi. « Non, mes
amis, non ! s'écria Jasper Hobson. Vous n'échapperiez
ni au froid ni aux ours. Brûlons tout ce qui peut
être brûlé ici, et ensuite, que Dieu nous sauve ! » Et alors,
tous ces malheureux, à demi gelés, se relevèrent,
la hache à la main, comme des fous. Les bancs,
les tables, les cloisons, tout fut démoli,
brisé, réduit en morceaux, et le poêle de la grande salle,
le fourneau de la cuisine ronflèrent bientôt
sous une flamme ardente, que quelques gouttes
d'huile de morse activaient encore ! La
température intérieure remonta d'une douzaine de degrés.
Les soins les plus empressés | furent
prodigués au sergent. |