LE NAUFRAGE DE L'AUGUSTE
(Les Anciens Canadiens)
   Philippe Aubert de Gaspé

Après la défaite des plaines d'Abraham, certaines personnes sont jugées indésirables et sont priées de rejoindre les vieux pays. Elles doivent le faire vite, malgré la mauvaise saison de navigation. Nous sommes sur le fleuve St-Laurent et les choses ne vont pas très bien.

Une scène pathétique où tout semble jouer de malchance, relevez les ennuis qui s'accumulent.

C'était donc le cœur bien gros que, voguant d'abord à l'aide d'un vent favorable, nous vîmes disparaître à nos yeux des sites qui nous étaient familiers, et qui nous rappelaient de bien chers souvenirs. Je ne parlerai que succinctement des dangers que nous courûmes au commencement de notre voyage, pour arriver au grand sinistre auquel j'ai échappé avec six seulement de nos hommes. Nous fûmes, le 16, à deux doigts du naufrage, près de l'Île aux Coudres, où un vent impétueux nous poussait après la perte de notre grande ancre. Le 4 novembre, nous fûmes assaillis par une tempête affreuse, qui dura deux jours et nous causa de grandes avaries. Le 7, un incendie, que nous eûmes beaucoup de peine à éteindre, se déclara pour la troisième fois dans la cuisine, et nous pensâmes brûler en pleine mer. Il serait difficile de peindre les scènes de désespoir qui eurent lieu pendant nos efforts pour maîtriser l'incendie. Nous faillîmes périr le long des côtes de l'Île Royale, le 11, sur un énorme rocher près duquel nous passâmes à portée de fusil, et que nous ne découvrîmes qu'à l'instant, pour ainsi dire, que le navire allait s'y briser. Depuis le 13 jusqu'au 15, nous voguâmes à la merci d'une furieuse tempête, sans savoir où nous étions. Nous fûmes obligés de remplacer, autant que faire se pouvait, les hommes de l'équipage qui, épuisés de fatigue, s'étaient réfugiés dans les hamacs et refusaient d'en sortir : menaces, promesses, coups de bâton même avaient été inutiles. Notre mât de misaine étant cassé, nos voiles en lambeaux ne pouvant être ni larguées ni amenées, le second proposa, comme dernière ressource dans cette extrémité, de faire côte : c'était un acte de désespoir ; le moment fatal arrivait ! Le capitaine et le second me regardaient avec tristesse en joignant les mains. Je ne compris que trop ce langage muet d'hommes accoutumés | par état à braver la mort.

Nous fîmes côte à tribord, où l'on apercevait l'entrée d'une rivière qui pouvait être navigable. Je fis part, sans en rien cacher, aux passagers des deux sexes, de cette manœuvre de vie et de mort. Que de prières alors à l'Être suprême ! que de vœux ! Mais hélas ! vaines prières ! vœux inutiles ! Qui pourrait peindre l'impétuosité des vagues ! La tempête avait éclaté dans toute sa fureur. Nos mâts semblaient atteindre les nues pour redescendre aussitôt dans l'abîme. Une secousse terrible nous annonça que le navire avait touché fond. Nous coupâmes alors mâts et cordages pour l'alléger ; il arriva, mais la puissance des vagues le tourna sur le côté. Nous étions échoués à environ cent cinquante pieds du rivage, dans une petite anse sablonneuse qui barrait la petite rivière où nous espérions trouver un refuge. Comme le navire faisait déjà eau | de toutes parts, les passagers se précipitèrent sur le pont ; les uns même, se croyant sauvés, se jetèrent à la mer et périrent. (...) Équipage et passagers s'étaient accrochés aux haubans et galabans pour résister aux vagues qui, déferlant sur le navire, faisaient à chaque instant leur proie de quelques nouvelles victimes : qu'attendre, en effet, d'hommes exténués et de faibles femmes ? Il nous restait, pour toute ressource, deux chaloupes, dont la plus grande fut enlevée par une vague, et mise en pièces. L'autre fut aussi jetée à la mer, et un domestique, nommé Étienne, s'y précipita, ainsi que le capitaine et quelques autres. Je ne m'en aperçus que lorsqu'un de mes enfants, que je tenais dans mes bras et l'autre attaché à ma ceinture, me crièrent : « Sauvez-nous donc, la chaloupe est à l'eau. » Je saisis un cordage avec précipitation, et au moyen d'une secousse violente, je tombai dans la chaloupe : le même coup de mer qui me sauva la vie, emporta mes deux enfants.


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