Êtes-vous comme moi
? Moi, j'adore les légendes, autant que
les enfants aiment les contes de fées.
Quand il n'est pas de l'intérêt scientifique
d'en contester l'authenticité,
je n'y toucherais pour rien au monde, même dans le but de
rectifier un point d'histoire. Mais il
y a légende et légende. Il faut que la légende
soit jolie, touchante ou héroïque. Il faut
qu'elle soit auréolée de poésie. Sans cela, ce n'est qu'une
vulgaire | fausseté que
l'on doit biffer d'un trait de plume, quand on le peut.
Oui, il y a légende et légende. Autant il répugne
à mon imagination d'entendre grogner un pourceau
sur les talons de Saint-Antoine, autant ma rêverie s'éclaire
et sourit à l'aspect de Saint-François d'Assise,
servant la messe et se retournant au moment de l'Élévation
pour imposer silence aux hirondelles, pépiant
et voltigeant sous le dôme
de Sainte-Marie-des-Anges.
Une légende bien gentille,
bien fraîche, bien poétique, et que je serais bien fâché
de voir disparaître de l'Évangile des petits
enfants, c'est celle des cloches de Pâques.
Les cloches de Pâques s'évadant silencieusement de leurs
cages aériennes, dans la nuit lugubre
du Vendredi-Saint, et, ainsi que de grands
oiseaux mystérieux, filant à travers l'espace jusqu'à la
Ville-Éternelle, pour s'en revenir toutes
gaies, tout enrubannées, légères et sonores,
nous annoncer, de leurs carillons joyeux
la suprême et consolante
nouvelle : Resurrexit sicut dixit ! Quand
j'étais tout petit, tout petit, c'était là pour moi une
des illusions les plus dorées, une des
croyances les plus chères qui aient jamais
bercé mon enfance et hanté ma cervelle
de moutard enthousiaste et avide
de merveilleux. Le soir du Jeudi-Saint,
les deux coudes sur l'allège de ma fenêtre,
les deux poings dans les cheveux, comme pour mieux aiguiser
l'intensité de mon attention, je regardais longuement, longuement,
les grands clochers de Québec
s'effacer et s'évanouir par degrés dans les ors estompés
du crépuscule, et finalement disparaître
dans la teinte uniforme et brumeuse
de la nuit. Alors, je voyais - oui, vous pouvez m'en
croire - je voyais les grands clochers de Québec s'éclairer
tout à coup comme d'une vague et phosphorescente
lueur de rêve. Les auvents des vieilles
tours s'ouvraient d'eux-mêmes, ou tout au moins cédaient
sous l'effort de mains invisibles. Et, comme une volée
d'oiseaux de bronze s'échappant des cavités
sombres, les cloches, muettes depuis le matin, prenaient
ensemble leur vol pour s'en aller se perdre au loin, bien
loin, dans les profondeurs enténébrées
du ciel. Je les voyais comme je vous vois : les grosses,
à l'essor plus pesant, tenant l'arrière-garde,
et, gravement, ayant l'air de commander la manœuvre.
Les petites, plus alertes et plus légères, un peu folichonne
peut-être, voltigeant en avant, comme dans une envolée de
jeunesse, toutes fières - je le devinais
- de cette liberté d'un jour avec l'immensité des airs pour
domaine et pour limites. Et quand la belle vision s'était
éteinte dans les lointains nébuleux de
la nuit tombée, je quittais ma chère fenêtre et j'allais
me blottir | frileusement
sous mes couvertures, avec une émotion dont je sens encore
le délicieux ébranlement. ô souvenirs d'enfance !
On a beau vieillir, comme
vous nous tenez bien au cœur, à toutes les fibres
du cœur ! Comme vous avez surtout de bons retours attendris
! À propos de retour, je n'ai jamais vu celui des cloches
de Pâques. Elles revenaient trop tard pour qu'on me permit
de rester debout à les attendre ; et trop
tôt, le matin, pour que je pusse
être témoin de leur rentrée triomphale
dans les lanternes vides des grands clochers
de Québec, dont les arêtes métalliques
s'allumaient aux premiers feux du jour naissant. Mais je
sais qu'elles arrivaient de Rome, ointes
et bénites par le pape, et mues comme des
princesses, avec de longues écharpes de
satin rose, des couronnes
de diamants et de fleurs, et de belles robes d'or et d'azur
flottant radieuses dans les airs irisés
par les reflets de l'aurore. |