LES CLOCHES DE PÂQUES
(Contes)
   Louis Fréchette

Il existe plusieurs légendes à propos des cloches de Pâques, celle-ci nous vient du Québec. Louis Fréchette nous raconte un peu sa jeunesse.

Notez les différences avec la légende que vous connaissez, vous, ou notez ce que vous trouvez bizarre.

Êtes-vous comme moi ? Moi, j'adore les légendes, autant que les enfants aiment les contes de fées. Quand il n'est pas de l'intérêt scientifique d'en contester l'authenticité, je n'y toucherais pour rien au monde, même dans le but de rectifier un point d'histoire. Mais il y a légende et légende. Il faut que la légende soit jolie, touchante ou héroïque. Il faut qu'elle soit auréolée de poésie. Sans cela, ce n'est qu'une vulgaire | fausseté que l'on doit biffer d'un trait de plume, quand on le peut. Oui, il y a légende et légende. Autant il répugne à mon imagination d'entendre grogner un pourceau sur les talons de Saint-Antoine, autant ma rêverie s'éclaire et sourit à l'aspect de Saint-François d'Assise, servant la messe et se retournant au moment de l'Élévation pour imposer silence aux hirondelles, pépiant et voltigeant sous le dôme de Sainte-Marie-des-Anges.

Une légende bien gentille, bien fraîche, bien poétique, et que je serais bien fâché de voir disparaître de l'Évangile des petits enfants, c'est celle des cloches de Pâques. Les cloches de Pâques s'évadant silencieusement de leurs cages aériennes, dans la nuit lugubre du Vendredi-Saint, et, ainsi que de grands oiseaux mystérieux, filant à travers l'espace jusqu'à la Ville-Éternelle, pour s'en revenir toutes gaies, tout enrubannées, légères et sonores, nous annoncer, de leurs carillons joyeux la suprême et consolante nouvelle : Resurrexit sicut dixit ! Quand j'étais tout petit, tout petit, c'était là pour moi une des illusions les plus dorées, une des croyances les plus chères qui aient jamais bercé mon enfance et hanté ma cervelle de moutard enthousiaste et avide de merveilleux. Le soir du Jeudi-Saint, les deux coudes sur l'allège de ma fenêtre, les deux poings dans les cheveux, comme pour mieux aiguiser l'intensité de mon attention, je regardais longuement, longuement, les grands clochers de Québec s'effacer et s'évanouir par degrés dans les ors estompés du crépuscule, et finalement disparaître dans la teinte uniforme et brumeuse de la nuit. Alors, je voyais - oui, vous pouvez m'en croire - je voyais les grands clochers de Québec s'éclairer tout à coup comme d'une vague et phosphorescente lueur de rêve. Les auvents des vieilles tours s'ouvraient d'eux-mêmes, ou tout au moins cédaient sous l'effort de mains invisibles. Et, comme une volée d'oiseaux de bronze s'échappant des cavités sombres, les cloches, muettes depuis le matin, prenaient ensemble leur vol pour s'en aller se perdre au loin, bien loin, dans les profondeurs enténébrées du ciel. Je les voyais comme je vous vois : les grosses, à l'essor plus pesant, tenant l'arrière-garde, et, gravement, ayant l'air de commander la manœuvre. Les petites, plus alertes et plus légères, un peu folichonne peut-être, voltigeant en avant, comme dans une envolée de jeunesse, toutes fières - je le devinais - de cette liberté d'un jour avec l'immensité des airs pour domaine et pour limites. Et quand la belle vision s'était éteinte dans les lointains nébuleux de la nuit tombée, je quittais ma chère fenêtre et j'allais me blottir | frileusement sous mes couvertures, avec une émotion dont je sens encore le délicieux ébranlement. ô souvenirs d'enfance !

On a beau vieillir, comme vous nous tenez bien au cœur, à toutes les fibres du cœur ! Comme vous avez surtout de bons retours attendris ! À propos de retour, je n'ai jamais vu celui des cloches de Pâques. Elles revenaient trop tard pour qu'on me permit de rester debout à les attendre ; et trop tôt, le matin, pour que je pusse être témoin de leur rentrée triomphale dans les lanternes vides des grands clochers de Québec, dont les arêtes métalliques s'allumaient aux premiers feux du jour naissant. Mais je sais qu'elles arrivaient de Rome, ointes et bénites par le pape, et mues comme des princesses, avec de longues écharpes de satin rose, des couronnes de diamants et de fleurs, et de belles robes d'or et d'azur flottant radieuses dans les airs irisés par les reflets de l'aurore.


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