En se retirant à dix heures
du soir, elle ferma à clef la porte de
sa chambre, qui donnait dans l'antichambre
de sa mère, puis elle se tint collée à
sa fenêtre et couchée sur le sol, de façon
à ne pouvoir pas être aperçue du dehors.
Qu'on juge de l'anxiété avec laquelle elle
entendit sonner les heures ; il n'était plus question des
reproches qu'elle se faisait souvent sur la rapidité avec
laquelle elle s'était attachée à Jules,
ce qui pouvait la rendre moins digne d'amour
à ses yeux. Cette journée-là avança plus les affaires du
jeune homme que six mois de constance et
de protestations. « À quoi bon mentir ?
se disait Hélène. Est-ce que je ne l'aime pas de toute mon
âme ? » À onze heures et demie, elle vit
fort bien son père et son frère se placer en embuscade
sur le grand balcon de pierre au-dessous
de sa fenêtre. Deux minutes après que minuit eût
sonné au couvent des Capucins, elle entendit
fort bien aussi les pas de son
amant, qui s'arrêta sous le grand chêne
; elle remarqua avec joie que son père et son frère semblaient
n'avoir rien entendu : il fallait l'anxiété
de l'amour pour distinguer un bruit aussi léger. « Maintenant,
se dit-elle, ils vont me tuer, mais il faut à tout
prix qu'ils ne surprennent pas la lettre de ce
soir ; ils persécuteraient à jamais ce
pauvre Jules. »
Elle fit un signe
de croix et, se retenant d'une main au balcon
de fer de sa fenêtre, elle se pencha au dehors, s'avançant
autant que possible dans la rue. Un quart
de minute ne s'était pas écoulé lorsque
le bouquet, attaché comme de coutume à
la longue canne, vint frapper sur son bras.
Elle saisit le bouquet ; mais, en l'arrachant vivement à
la canne sur l'extrémité de laquelle il
était fixé, elle fit frapper cette canne contre le balcon
en pierre. À l'instant partirent deux coups
d'arquebuse suivis d'un silence parfait.
Son frère Fabio, ne sachant pas trop, dans l'obscurité,
si ce qui frappait violemment le balcon n'était pas une
corde à l'aide de laquelle Jules descendait
de chez sa sœur, avait fait feu sur le balcon ; le
lendemain, elle trouva la marque de la balle, qui s'était
aplatie sur le fer. Le seigneur de Campireali
avait tiré dans la rue, au bas du balcon de pierre, car
Jules avait fait quelque bruit en retenant
la canne prête à tomber. Jules, de son côté, entendant du
bruit au-dessus de sa tête, avait deviné
ce qui allait suivre et s'était mis à l'abri
sous la saillie du balcon. Fabio rechargea
rapidement son arquebuse, et, quoi que son père pût lui
dire, courut au jardin de la maison, ouvrit sans bruit une
petite porte qui donnait sur une rue voisine,
et ensuite s'en vint, à pas de loup, examiner
un peu les gens qui se promenaient sous le balcon du palais.
À ce moment, Jules, qui ce soir-là était
bien accompagné, se trouvait à vingt pas
de lui, collé contre un arbre.
Hélène, penchée sur
son balcon et tremblante pour son amant, entama
aussitôt une conversation à très haute
voix avec son frère, qu'elle entendait dans la rue ; elle
lui demanda s'il avait tué les voleurs.
- Ne croyez pas que je sois dupe de votre
ruse | scélérate ! lui
cria celui-ci de la rue, qu'il arpentait en tous sens, mais
préparez vos larmes, je vais tuer l'insolent qui ose s'attaquer
à votre fenêtre.
Ces paroles étaient à peine prononcées,
qu'Hélène entendit sa mère frapper à la porte de sa chambre.
Hélène se hâta d'ouvrir, en disant qu'elle
ne concevait pas comment cette porte se trouvait fermée.
- Pas de comédie avec moi, mon cher
ange, lui dit sa mère, ton père est furieux
et te tuera peut-être : viens te placer avec moi dans mon
lit ; et, si tu as une lettre, donne-la
moi, je la cacherai. Hélène lui dit :
- Voilà le bouquet, la lettre est cachée
entre les fleurs. |