Une tenture
de velours vert, surchargée d'ornements dorés, semblait
faite exprès pour absorber toute la lumière que pouvaient
fournir deux immenses croisées garnies
de laces au lieu de vitres. Ces croisées
donnaient sur un jardin solitaire divisé en compartiments
bizarres par des bordures de buis. Une
rangée de tilleuls taillés régulièrement
trois fois par an, en garnissait le fond,
et leurs formes immobiles semblaient une image vivante de
la vie morale de cette famille. La chambre
du jeune vicomte, pratiquée
au-dessus du salon et sacrifiée à la beauté de cette pièce
essentielle, avait à peine la hauteur d'un entresol.
Cette chambre était l'horreur d'Octave,
et vingt fois, devant ses parents, il en avait fait l'éloge.
Il craignait que quelque exclamation involontaire ne vînt
le trahir et montrer combien cette chambre et toute la maison
lui étaient insupportables. Il regrettait
vivement sa petite cellule de l'École
polytechnique.
Le séjour
de cette école lui avait été cher, parce qu'il
lui offrait l'image de la retraite et de la tranquillité
d'un monastère. Pendant longtemps Octave
avait pensé à se retirer du monde et à consacrer
sa vie à Dieu. Cette idée avait alarmé
ses parents et surtout le marquis, qui
voyait dans ce dessein le complément de
toutes ses craintes relativement à l'abandon
qu'il redoutait pour ses vieux jours. Mais en cherchant
à mieux connaître les vérités de la religion, Octave avait
été conduit à l'étude des écrivains qui
depuis deux siècles ont essayé d'expliquer
comment l'homme pense et comment il veut, et ses idées étaient
bien changées ; celles de son père ne l'étaient point. Le
marquis voyait avec une sorte d'horreur un jeune gentilhomme
se passionner pour les livres, il craignait toujours quelque
rechute, et c'était un de ses grands motifs
pour désirer le prompt mariage d'Octave.
On jouissait
des derniers beaux jours de l'automne qui,
à Paris, est le printemps ; madame de Malivert dit à son
fils : Vous devriez monter à cheval. Octave
ne vit dans cette proposition qu'un surcroît
de dépense, et comme les plaintes continuelles
de son père lui faisaient croire la fortune de sa famille
bien plus réduite qu'elle ne l'était en
effet, il refusa longtemps :
- à quoi bon, chère maman ? répondait-il
toujours ; je monte fort bien à cheval, mais je n'y trouve
aucun plaisir.
Madame de Malivert fit amener dans l'écurie un superbe cheval
anglais dont la jeunesse et la grâce
firent un étrange contraste avec les deux
anciens chevaux normands qui, depuis douze ans, s'acquittaient
du service de la maison. Octave fut embarrassé
de ce cadeau ; pendant deux jours il en remercia
sa mère ; mais le troisième, se trouvant seul
avec elle, comme on vint à parler du cheval anglais :
- Je t'aime trop pour te remercier encore,
dit-il en prenant la main de madame de Malivert et la pressant
contre ses lèvres ; faut-il qu'une fois en sa vie ton fils
n'ait pas été sincère avec la personne
qu'il aime le mieux au monde ? Ce cheval vaut 4.000 fr.,
tu n'es pas assez riche pour que cette dépense ne te gêne
pas.
Madame de Malivert ouvrit le tiroir d'un secrétaire
:
- Voilà mon testament, dit-elle ; je te donnais mes diamants,
mais sous une condition expresse, c'est
que tant que durerait le produit de leur vente, tu aurais
un cheval que tu monterais quelquefois par mon ordre.
J'ai fait vendre en secret deux de ces
diamants pour avoir le bonheur de te voir un joli cheval
de mon vivant. L'un des plus grands sacrifices
que m'ait imposés ton père, c'est l'obligation de
ne pas me défaire de ces ornements qui
me conviennent si peu. Il a je ne sais quelle espérance
politique peu fondée selon moi, et il se croirait deux fois
plus pauvre et plus déchu le jour où sa
femme n'aurait plus de diamants. Une profonde tristesse
parut sur le front d'Octave, et il replaça dans le tiroir
du secrétaire ce papier dont le nom rappelait un événement
si cruel et peut-être si prochain. |