ARMANCE
(Roman et nouvelles)
   Stendhal

Après des études comme pensionnaire, Octave revient vivre chez ses parents, des gens aristocrates, mais dont la fortune n'est plus très grande. Cependant ce jeune homme craint de devenir un fardeau pour des parents qui aimeraient faire beaucoup plus pour lui...

Plusieurs malaises existent dans les relations entre le jeune homme et ses parents, notez-les.

Une tenture de velours vert, surchargée d'ornements dorés, semblait faite exprès pour absorber toute la lumière que pouvaient fournir deux immenses croisées garnies de laces au lieu de vitres. Ces croisées donnaient sur un jardin solitaire divisé en compartiments bizarres par des bordures de buis. Une rangée de tilleuls taillés régulièrement trois fois par an, en garnissait le fond, et leurs formes immobiles semblaient une image vivante de la vie morale de cette famille. La chambre du jeune vicomte, pratiquée au-dessus du salon et sacrifiée à la beauté de cette pièce essentielle, avait à peine la hauteur d'un entresol. Cette chambre était l'horreur d'Octave, et vingt fois, devant ses parents, il en avait fait l'éloge. Il craignait que quelque exclamation involontaire ne vînt le trahir et montrer combien cette chambre et toute la maison lui étaient insupportables. Il regrettait vivement sa petite cellule de l'École polytechnique.

Le séjour de cette école lui avait été cher, parce qu'il lui offrait l'image de la retraite et de la tranquillité d'un monastère. Pendant longtemps Octave avait pensé à se retirer du monde et à consacrer sa vie à Dieu. Cette idée avait alarmé ses parents et surtout le marquis, qui voyait dans ce dessein le complément de toutes ses craintes relativement à l'abandon qu'il redoutait pour ses vieux jours. Mais en cherchant à mieux connaître les vérités de la religion, Octave avait été conduit à l'étude des écrivains qui depuis deux siècles ont essayé d'expliquer comment l'homme pense et comment il veut, et ses idées étaient bien changées ; celles de son père ne l'étaient point. Le marquis voyait avec une sorte d'horreur un jeune gentilhomme se passionner pour les livres, il craignait toujours quelque rechute, et c'était un de ses grands motifs pour désirer le prompt mariage d'Octave.

On jouissait des derniers beaux jours de l'automne qui, à Paris, est le printemps ; madame de Malivert dit à son fils : Vous devriez monter à cheval. Octave ne vit dans cette proposition qu'un surcroît de dépense, et comme les plaintes continuelles de son père lui faisaient croire la fortune de sa famille bien plus réduite qu'elle ne l'était en effet, il refusa longtemps :
- à quoi bon, chère maman ? répondait-il toujours ; je monte fort bien à cheval, mais je n'y trouve aucun plaisir.
Madame de Malivert fit amener dans l'écurie un superbe cheval anglais dont la jeunesse et la grâce firent un étrange contraste avec les deux anciens chevaux normands qui, depuis douze ans, s'acquittaient du service de la maison. Octave fut embarrassé de ce cadeau ; pendant deux jours il en remercia sa mère ; mais le troisième, se trouvant seul avec elle, comme on vint à parler du cheval anglais :
- Je t'aime trop pour te remercier encore, dit-il en prenant la main de madame de Malivert et la pressant contre ses lèvres ; faut-il qu'une fois en sa vie ton fils n'ait pas été sincère avec la personne qu'il aime le mieux au monde ? Ce cheval vaut 4.000 fr., tu n'es pas assez riche pour que cette dépense ne te gêne pas.
Madame de Malivert ouvrit le tiroir d'un secrétaire :
- Voilà mon testament, dit-elle ; je te donnais mes diamants, mais sous une condition expresse, c'est que tant que durerait le produit de leur vente, tu aurais un cheval que tu monterais quelquefois par mon ordre. J'ai fait vendre en secret deux de ces diamants pour avoir le bonheur de te voir un joli cheval de mon vivant. L'un des plus grands sacrifices que m'ait imposés ton père, c'est l'obligation de ne pas me défaire de ces ornements qui me conviennent si peu. Il a je ne sais quelle espérance politique peu fondée selon moi, et il se croirait deux fois plus pauvre et plus déchu le jour où sa femme n'aurait plus de diamants. Une profonde tristesse parut sur le front d'Octave, et il replaça dans le tiroir du secrétaire ce papier dont le nom rappelait un événement si cruel et peut-être si prochain.


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