Le narrateur, jeune étudiant, a acheté, le jour même,
chez un antiquaire, un pied de momie qui devrait lui servir
de presse papier. De retour dans sa chambre, le soir, il
s'endort, mais se fait réveiller par un dialogue insolite
: Il voit comme dans un rêve, une jeune princesse, la princesse
Hermonthis, dialoguer avec le pied de momie déposé sur sa
table. C'est le pied qui parle. |
- Vous savez bien que je
ne m'appartiens plus, j'ai été acheté et
payé ; le vieux marchand savait bien ce qu'il faisait. Il
vous en veut toujours d'avoir refusé de l'épouser
: c'est un tour qu'il vous a joué. L'Arabe
qui a forcé votre cercueil royal dans le puits souterrain
de la nécropole de Thèbes
était envoyé par lui, il voulait vous empêcher d'aller à
la réunion des peuples ténébreux, dans
les cités inférieures. Avez-vous cinq pièces d'or pour me
racheter ?
- Hélas ! Non. Mes pierreries, mes anneaux,
mes bourses d'or et d'argent, tout m'a été volé, répondit
la princesse Hermonthis avec un soupir.
- Princesse, m'écriai-je alors, je n'ai jamais retenu injustement
le pied de personne : bien que vous n'ayez pas les cinq
louis qu'il m'a coûtés, je vous le rends de bonne grâce
; je serais désespéré de rendre boiteuse
une aussi aimable personne que la princesse Hermonthis.
Je débitai ce discours d'un ton régence
et troubadour qui dut surprendre la belle
Egyptienne. Elle tourna vers moi un regard
chargé de reconnaissance, et ses yeux s'illuminèrent de
lueurs bleuâtres. Elle prit son pied, qui,
cette fois, se laissa faire, comme une femme qui va mettre
son brodequin, et l'ajusta
à sa jambe avec beaucoup d'adresse. Cette opération terminée,
elle fit deux ou trois pas dans la chambre, comme pour s'assurer
qu'elle n'était réellement plus boiteuse.
- Ah ! Comme mon père va être content, lui qui était si
désolé de ma mutilation, et qui avait,
dès le jour de ma naissance, mis un peuple tout entier à
l'ouvrage pour me creuser un tombeau si
profond qu'il pût me conserver intacte jusqu'au jour suprême
où les âmes doivent êtres pesées dans les balances de l'Amenthi.
- Venez avec moi chez mon père, il vous recevra bien, vous
m'avez rendu mon pied.
Je trouvai cette proposition toute naturelle
; j'endossai une robe de chambre à grands ramages,
qui me donnait un air très pharaonesque
; je chaussai à la hâte des babouches turques,
et je dis à la princesse Hermonthis que j'étais prêt à la
suivre. (...)
Nous filâmes pendant quelque
temps avec la rapidité de la flèche dans un milieu fluide
et grisâtre, où des silhouettes à peine ébauchées
passaient à droite et à gauche. Un instant, nous ne vîmes
que l'eau et le ciel. Quelques minutes après, des obélisques
commencèrent à pointer, des pylônes, des
rampes côtoyées de sphinx
se dessinèrent à l'horizon. Nous étions arrivés. La princesse
me conduisit devant une montagne de granit
rose, où se trouvait une ouverture étroite et basse qu'il
eût été difficile de distinguer des fissures
de la pierre si deux stèles | bariolées
de sculptures ne l'eussent fait reconnaître. Hermonthis
alluma une torche et se mit à marcher devant moi. C'étaient
des corridors taillés dans le roc vif ; les murs, couverts
de panneaux d'hiéroglyphes et de processions
allégoriques, avaient dû occuper des milliers
de bras pendant des milliers d'années ; ces corridors, d'une
longueur interminable, aboutissaient à des chambres carrées,
au milieu desquelles étaient pratiqués
des puits, où nous descendions au moyen de crampons
ou d'escaliers en spirale ; ces puits nous
conduisaient dans d'autres chambres, d'où partaient d'autres
corridors également bigarrés d'éperviers,
de serpents roulés en cercle, (...). Enfin, nous
débouchâmes dans une salle si vaste, si énorme,
si démesurée, que l'on ne pouvait en apercevoir les bornes
; à perte de vue s'étendaient des files de colonnes monstrueuses
entre lesquelles tremblotaient de livides
étoiles de lumière jaune : ces points brillants révélaient
des profondeurs incalculables. La princesse
Hermonthis me tenait toujours par la main et saluait gracieusement
les momies de sa connaissance. |