L'histoire se passe en Norvège, le pays des contes
par excellence. La jeune fille d'un châtelain, un jour charmée
par un visiteur un peu volage, quelques mois après son départ,
enfante d'Oluf. Cet enfant, une fois grand, sera très spécial,
plutôt que d'avoir une bonne étoile, comme tout le monde,
il en aura deux : une rouge et une verte... la seconde,
bonne ou mauvaise... Un jour qu'il part à cheval, en armure,
voir sa bien-aimée dans un autre château, il rencontre un
autre chavalier qui lui bouche le passage... |
« Seigneur Oluf, reculez-vous
pour que je passe, dit le chevalier à la visière
baissée. Le voyage que je fais est un long voyage ; on
m'attend, il faut que j'arrive.
- Par la moustache de mon père, c'est vous qui reculerez.
Je vais à un rendez-vous d'amour, et les amoureux sont pressés
», répondit Oluf en portant la main sur la garde
de son épée.
L'inconnu tira la sienne, et le combat commença. Les épées,
en tombant sur les mailles d'acier, en
faisaient jaillir des gerbes d'étincelles
pétillantes ; Bientôt, quoique d'une trempe
supérieure, elles furent ébréchées comme
des scies. On eût pris les combattants,
à travers la fumée de leurs chevaux et la brume de leur
respiration haletante, pour deux noirs
forgerons acharnés sur un fer rouge.
Les chevaux, animés de la même rage que leurs maîtres, mordaient
à belles dents leurs cous veineux, et s'enlevaient des lambeaux
de poitrail ; ils s'agitaient avec des soubresauts furieux,
se dressaient sur leurs pieds de derrière, et se servant
de leurs sabots comme de poings fermés, ils se portaient
des coups terribles pendant que leurs cavaliers se martelaient
affreusement par-dessus leurs têtes ; les chiens n'étaient
qu'une morsure et qu'un hurlement. Les
gouttes de sang, suintant à travers les
écailles imbriquées des armures et tombant toutes tièdes
sur la neige, y faisaient de petits trous roses. Au bout
de peu d'instants l'on aurait dit un crible,
tant les gouttes tombaient fréquentes et pressées. Les deux
chevaliers étaient blessés.
Chose étrange, Oluf sentait
les coups qu'il portait au chevalier inconnu ; il souffrait
des blessures qu'il faisait et de celles qu'il recevait
: il avait éprouvé un grand froid dans
la poitrine, comme d'un fer qui entrerait et chercherait
le cœur, et pourtant sa cuirasse n'était
pas faussée à l'endroit du cœur : sa seule
blessure était un coup dans les chairs an bras droit. Singulier
duel, où le vainqueur souffrait autant que le vaincu, où
donner et recevoir était une chose indifférente. Ramassant
ses forces, Oluf fit voler d'un revers
le terrible heaume de son adversaire.
- O terreur ! que vit le fils d'Edwige et de Lodbrog ?
Il se vit lui-même devant lui : un miroir eût été
moins exact. Il s'était battu avec son propre spectre,
avec le chevalier à l'étoile rouge ; le spectre jeta un
grand cri et disparut.
La spirale de corbeaux remonta
dans le ciel et le brave Oluf continua son chemin ; en revenant
le soir à son château, il portait en croupe
la jeune châtelaine, qui cette fois avait bien voulu l'écouter.
Le chevalier à l'étoile rouge n'étant plus là, elle s'était
décidée à laisser tomber de ses lèvres de rose, sur le cœur
d'Oluf, cet aveu qui coûte tant à la pudeur. La nuit était
claire et bleue, Oluf leva la tête pour chercher sa double
étoile et la faire voir à sa fiancée : il n'y avait plus
que la verte, la rouge avait disparu. (...)
Cette histoire montre comme
un seul moment d'oubli, un regard même innocent,
peuvent avoir d'influence. Jeunes femmes, ne jetez jamais
les yeux sur les maîtres chanteurs de Bohème,
qui récitent des poésies enivrantes et
diaboliques, vous, jeunes filles, ne vous
fiez qu'à l'étoile verte ; et vous qui avez le malheur d'être
double, combattez bravement, quand même vous devriez frapper
sur vous et vous blesser de votre propre épée, l'adversaire
intérieur, le méchant chevalier. Vous vous demandez qui
nous a apporté cette légende de Norvège,
c'est un cygne ; un bel oiseau au bec jaune,
qui a traversé le Fiord, moitié nageant, moitié volant. |