À CHEVAL
(Contes)
   Guy de Maupassant

Une prime de travail, et cette petite famille peut se permettre un plaisir d'habitude trop cher : une excursion à cheval. On louera une calèche pour la famille et un cheval pour Papa. On se fait une fête par avance... mais papa n'est pas monté à cheval depuis longtemps, c'est lui qui raconte :

Le père semble sûr de ses compétences de cavalier, un peu trop sûr, notez comment petit à petit on s'attend au pire.

« Si on pouvait me donner un animal un peu difficile, je serais enchanté. Tu verras comme je monte, et, si tu veux, nous reviendrons par les Champs-Elysées au moment du retour du bois. Comme nous ferons bonne figure, je ne serais pas fâché de rencontrer quelqu'un du Ministère. Il n'en faut pas plus pour se faire respecter de ses chefs. » Au jour dit, la voiture et le cheval arrivèrent en même temps devant la porte. Il descendit aussitôt pour examiner sa monture. Il avait fait coudre des sous-pieds à son pantalon, et manœuvrait une cravache achetée la veille. Il leva et palpa, l'une après l'autre, les quatre jambes de la bête, tâta le cou, les côtes, les jarrets, éprouva du doigt les reins, ouvrit la bouche, examina les dents, déclara son âge et, comme toute la famille descendait, il fit une sorte de petit cours théorique et pratique sur le cheval en général et en particulier sur celui-là, qu'il reconnaissait excellent.

Quand tout le monde fut bien placé dans la voiture, il vérifia les sangles de la selle ; puis, s'enlevant sur un étrier, il retomba sur l'animal, qui se mit à danser sous la charge et faillit désarçonner son cavalier. Hector, ému, tâchait de le calmer : « Allons, tout beau, mon ami, tout beau. » Puis quand le porteur eut repris sa tranquillité et le porté son aplomb, celui-ci demanda : « Est-on prêt ? » Toutes les voix répondirent « Oui. » Alors, il commanda : « En route ! » Et la cavalcade s'éloigna. (...) On déjeuna sur l'herbe, dans le bois du Vésinet, avec les provisions déposées dans les coffres. Bien que le cocher prît soin des chevaux, Hector à tout moment se levait pour aller voir si le sien ne manquait de rien, et il le caressait sur le cou, lui faisant manger du pain, des gâteaux, du sucre. Il déclara : « C'est un rude trotteur. Il m'a même un peu secoué dans les premiers moments ; mais tu as vu que je m'y suis vite remis : il a reconnu son maître, il ne bougera plus maintenant. »

Comme il avait été décidé, on revint par les Champs-Elysées. La vaste avenue fourmillait de voitures. Et sur les côtés, les promeneurs étaient si nombreux qu'on eût dit deux longs rubans noirs se déroulant, depuis l'Arc de Triomphe jusqu'à la place de la Concorde. Une averse de soleil tombait sur tout ce monde, faisait étinceler le vernis des calèches, l'acier des harnais, les poignées des portières. Une folie de mouvement, une ivresse de vie semblait agiter cette foule de gens, d'équipages et de bêtes. Et l'Obélisque, là-bas, se dressait dans une buée d'or.

Le cheval d'Hector, dès qu'il eut dépassé l'Arc de Triomphe, fut saisi soudain d'une ardeur nouvelle, et il filait à travers les rues, au grand trot, vers l'écurie, malgré toutes les tentatives d'apaisement de son cavalier. La voiture était loin maintenant, loin derrière, et voilà qu'en face du Palais de l'Industrie, l'animal, se voyant du champ, tourna à droite et prit le galop. Une vieille femme en tablier traversait la chaussée d'un pas tranquille ; elle se trouvait juste sur le chemin d'Hector, qui arrivait à fond de train. Impuissant à maîtriser sa bête, il se mit à crier de toute sa force : « Holà ! hé ! holà ! là-bas ! » Elle était sourde, peut-être, car elle continua paisiblement sa route jusqu'au moment où, heurtée par le poitrail du cheval lancé comme une locomotive, elle alla rouler dix pas plus loin, les jupes en l'air, après trois culbutes sur la tête. Des voix criaient : « Arrêtez-le ! » Hector, éperdu, se cramponnait à la crinière en hurlant : « Au secours ! » Une secousse terrible le fit passer comme une balle par-dessus les oreilles de son coursier et tomber dans les bras d'un sergent de ville qui venait de se jeter à sa rencontre.


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