LA CHÈVRE DE M. SEGUIN
(Lettres de mon moulin)
   Alphonse Daudet

Blanquette est une petite chèvre éprise de liberté. Au matin, elle s'est enfuie du clos de son maître : Monsieur Seguin. Le soir venu, elle réfléchit à sa condition nouvelle.

Notez ce qui fait que Blanquette ne veut pas retourner chez elle, et ce qui lui donne du courage.

Tout à coup le vent fraîchit. La montagne devint violette ; c'était le soir. « Déjà » dit la petite chèvre ; et elle s'arrêta fort étonnée. En bas, les champs étaient noyés de brume. Le clos de M. Seguin disparaissait dans le brouillard, et de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée. Elle écouta les clochettes d'un troupeau qu'on ramenait, et se sentit l'âme toute triste... Un gerfaut, qui rentrait, la frôla de ses ailes en passant. Elle tressaillit... Puis ce fut un hurlement dans la montagne : « Hou ! Hou ! ». Elle pensa au loup ; de tout le jour la folle n'y avait pas pensé... Au même moment une trompe sonna bien loin dans la vallée. C'était ce bon M. Seguin qui tentait un dernier effort. « Hou ! Hou ! » faisait le loup. « Reviens ! Reviens ! » criait la trompe.

Blanquette eut envie de revenir ; mais en se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie, et qu'il valait mieux rester. La trompe ne sonnait plus... La chèvre entendit derrière elle un bruit de feuilles. Elle se retourna et vit dans l'ombre deux oreilles courtes, toutes droites, avec deux yeux qui reluisaient... C'était le loup. Énorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là, regardant la petite chèvre blanche et la dégustait par avance. Comme il savait bien qu'il la mangerait, le loup ne se pressait pas ; seulement, quand elle se retourna, il se mit à rire méchamment. « Ha ! Ha ! La petite chèvre de M. Seguin » ; et il passa sa grande langue rouge sur ses babines d'amadou. Blanquette se sentit perdue... Un moment, en se rappelant l'histoire de la vieille Renaude, qui s'était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu'il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite ; puis, s'étant ravisée, elle tomba en garde, la tête basse et la corne en avant, comme une brave chèvre de M. Seguin qu'elle était... Non pas qu'elle eût l'espoir de tuer le loup, - les chèvres ne tuent pas le loup, - mais seulement pour voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la Renaude...

Alors le monstre s'avança, et les petites cornes entrèrent en danse. Ah ! La brave chevrette, comme elle y allait de bon cœur ! Plus de dix fois, je ne mens pas, (...) elle força le loup à reculer pour reprendre haleine. Pendant ces trêves d'une minute, la gourmande cueillait en hâte encore un brin de sa chère herbe ; puis elle retournait au combat, la bouche pleine... Cela dura toute la nuit. De temps en temps la chèvre de M. Seguin regardait les étoiles danser dans le ciel clair, et elle se disait : « Oh ! Pourvu que je tienne jusqu'à l'aube... ». L'une après l'autre, les étoiles s'éteignirent. Blanquette redoubla de coups de cornes, le loup de coups de dents... Une lueur pâle parut dans l'horizon... Le chant du coq enroué monta d'une métairie. « Enfin » dit la pauvre bête, qui n'attendait plus que le jour pour mourir ; et elle s'allongea par terre dans sa belle fourrure blanche toute tachée de sang... Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea.


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